Laisser la place à l’expert

DSC_0841Le cru, les experts et moi…*

Ces dernières années, j’ai suivi de près les tendances en alimentation canine, et plus particulièrement les débats et controverses concernant l’alimentation canine à base de viande crue. Nombreux sont ceux qui sont convaincus des bienfaits d’une telle diète. Une fois convertis, ils ont parfois tendance à vouloir encourager leur entourage à faire de même. Des intervenants non vétérinaires ne se gênent d’ailleurs pas pour fortement encourager leurs clients en ce sens.

Je ne me prononce jamais sur le cru (et pourquoi pas une diète maison équilibrée  cuite?) vs les croquettes (quelle qualité de croquettes?) : la question est complexe, on manque d’information et plusieurs conditions de santé (digestives, dermatologiques et autres) différencient les individus. J’ose à peine mentionner les risques pour la santé du chien, qui existent. De plus, la question est tellement émotive que les discussions ont tendance à s’enflammer.

Je me prononce donc toujours sur un seul point : je crois qu’il est de mon devoir d’informer la population de la nécessité d’être prudents avec la viande crue, surtout en présence de jeunes enfants ou de personnes âgées et/ou malades. Étrangement, ce message très simple est souvent mal reçu.

Je suis médecin vétérinaire, j’ai récemment pris des cours de deuxième cycle sur les zoonoses et je fais des études de maîtrise en éthique dans une école de santé publique. Mon parcours inclut une solide formation scientifique, démontre ma volonté de maintenir mes connaissances à jour ainsi que ma préoccupation pour l’éthique et la santé publique humaine et animale. Qu’est-ce que ça vous dit sur ma compétence pour vous parler d’alimentation des chiens?  Est-ce suffisant pour que vous acceptiez tout ce que je dis sans vous questionner?

Non.

Aucun parcours académique ne garantit qu’une personne dit vrai sur un sujet donné. Je pourrais avoir un PhD en comportement canin et me mettre à vous dire qu’il est inutile de socialiser les chiots en me basant sur des anecdotes. Par exemple, je pourrais affirmer avoir vu des dizaines de chiots issus d’usine à chiots qui sont quand même sains, ce qui serait vrai mais insuffisant comme preuve. Ça vous semble évident avec cet exemple parce que la plupart d’entre vous êtes déjà convaincus des bienfaits de la socialisation…prenons-en donc un autre.

Disons maintenant qu’une personne a  une maîtrise en nutrition animale (possiblement en alimentation des ruminants, ce qui est très différent d’un carnivore, mais passons…) et  vous dit que l’alimentation crue des chiens ne présente pas de risques : elle nourrit ses chiens ainsi depuis des années et ils ne sont pas malades. Pourquoi votre esprit critique cesserait-il de se manifester?

On a peu de données sur des prétendus avantages de l’alimentation crue. Les arguments que j’entends en faveur de cette pratique n’ont généralement aucun fondement scientifique, mais je me garde bien de me prononcer sur ces «avantages» tant qu’on n’en sait pas plus. Par contre, pour ce qui est des risques, ils sont bien connus, documentés, publiés. On ne peut les nier. Bien sûr si vous êtes un adulte en bonne santé, vous pouvez choisir à votre guise même s’il y a aussi certains risques pour votre animal. Ce que j’accepte moins, c’est que de nombreuses personnes en encouragent d’autres à nourrir au cru sans les mettre en garde contre de tels risques.

Voici une anecdote personnelle (les anecdotes ont une certaine valeur si on n’essaie pas d’en tirer de conclusions universelles) pour illustrer mes propos.

Quelqu’un m’avait ajoutée à un groupe Facebook d’éducateurs canins.  Pendant six mois, j’ai donné de mon temps pour alimenter des échanges, partager des articles scientifiques et répondre à des questions de temps à autre. Un jour, un membre a posé une question sur les précautions à prendre avec le cru. En quelques lignes et très poliment, j’ai suggéré la prudence en présence de personnes dont le système immunitaire est moins efficace, comme mentionné plus haut. L’administratrice du groupe a demandé l’avis d’un «expert» du groupe. Jusque là, je ne savais pas que ce groupe comptait des experts; je ne les avais jamais vus intervenir et ils n’étaient pas mentionnés dans le descriptif. L’expert s’est pointé, a partagé son expérience personnelle (ses chiens sont sains -sans symptômes, en fait, sains on ne le sait pas- et nourris au cru) et a conclu que nos opinions étaient simplement différentes.

Ma réponse : «Non, quand je dis qu’il y a des risques pour la santé humaine, ce n’est pas mon opinion personnelle. Aucune anecdote ou expérience personnelle ne fait le poids contre des milliers de publications scientifiques et des prises de position basées sur des données probantes d’organismes aussi sérieux que ceux-ci.»

Position de l’ASPC et de l’ACMV

Position de l’AAHA

Position de l’AVMA

Position de l’AVCN

CDC et FDA

L’administratrice du groupe m’a alors écrit en privé de laisser la place à l’expert, ce que j’ai bien sûr fait : je suis sortie du groupe!

Que faut-il à un «expert» pour mériter votre confiance ?

-Il a des solides connaissances de base

-Il a une bonne connaissance du dossier

-Il ne se base pas que sur ses propres expériences

-Il est ouvert à revoir ses positions en fonction de nouvelles connaissances

-Il n’adopte pas de positions en noir ou blanc, il est capable de nuance

-Il ne va pas aller totalement à l’encontre de la science (par exemple être contre toute forme de vaccination)

-Il  peut émettre des réserves sur certains points (par exemple tel type de vaccin à tel âge)

S’il est raisonnable d’entretenir un certain scepticisme face à la science, totalement ignorer  de milliers d’études valides revient à rejeter les fondements mêmes de la méthode scientifique. Dire  »je suis contre tous les vaccins » y est équivalent, de même que  »il n’y a aucun risque au cru. » 

Je ne crois pas être  une experte en alimentation canine. Lorsque je me prononce sur un enjeu, toutefois, je m’efforce de  bien me renseigner et de ne pas laisser des croyances personnelles nuire à mon objectivité. On n’y arrive probablement jamais parfaitement, mais il faut au moins tendre à la neutralité.

J’ose espérer que mon message passera et que vous serez prudents avec la santé de ceux qui vous entourent et sont plus vulnérables. Si vous êtes un intervenant du milieu et que vous faites la promotion du cru, j’espère que je vous aurai un peu sensibilisés à la protection de la santé humaine.

* Je tiens à préciser que le but de ce texte est simple: transmettre le message de faire attention en présence de personnes à la santé plus fragile. Je n’ai aucun objectif de viser une personne en particulier. Pas mon genre du tout.

Caroline Kilsdonk

Accueil du blogue

Autres liens:

commentaire d’un éthicien

Article sur les données probantes


17 réflexions sur “Laisser la place à l’expert

  1. euh vous oubliez une grande qualité que devrait avoir un expert en nutrition canine… ne pas travailler pour l’industrie du petfood.. bref….

    J’aime

    1. Pour remplir l’ensemble des critères, il va de soi qu’il ne travaille ni pour l’industrie de la croquette NI ne produise et vende de cru.
      J’entends souvent cet argument à propos des vétérinaires: ils sont en conflit d’intérêt parce qu’ils en vendent. C’est vrai.
      Mais comment se fait-il qu’un large public ne se pose pas les mêmes questions de conflit d’intérêts face aux vendeurs de cru de tout acabit?
      Cela demeure un mystère pour moi.
      Personnellement, je ne vends rien et l’«expert» dont je parle dans l’article vend du cru.

      J’aime

  2. Je suis d’accord sur un certain point…. Qu’en est-il alors des croquettes quelques fois faites avec des produits contaminés et donc deviennent un risque aussi pour ceux plus vulnérables? On le mentionne de toute façon, un chien est porteur de bactéries et pathogènes qu’il soit nourri au cru ou aux croquettes. On est plus fort à cause d’eux car notre organisme se bat à tous les jours contre ces pathogènes. Cependant pour les ainés et les nouveaux nés; Oui ils sont vulnérables peu importe comment le chien est nourri non? Si le chien (nourrit au croquettes) se nettoye l’anus et ensuite donne un bec à son maitre ainés ou son humain nouveau-né les risques sont là aussi non? Substance fécales, salive, licher de la charogne, viande crue, jus de viande….. Les chiens ne sont pas des bouteilles de Lysol. Il y a eu plusieurs articles où on retrouvait la salmonellose dans les matières fécales d’un chien nourrit au croquettes. Avoir un chien c’est un risque pour la santé de tous à mon avis! nous pouvons au contre contrôle l’environnement au mieux que nous pouvons le faire.

    J’aime

    1. J’essaie de me limiter, dans ce débat, à ce que nous savons scientifiquement.
      D’accord qu’il n’existe pas de risque zéro.
      1)Nous savons que les risques sont beaucoup plus grands avec le cru.
      2) Nous savons que certaines personnes sont plus vulnérables.

      J’aime

  3. C’est tellement ce que j’essaie de faire comprendre aux gens. Étant moi-même dans une influence dans le domaine des chiens, je mets en garde mes clients. Je ne nourris pas au cru mais je ne peux me prononcer sur les avantages et inquiétudes de cette façon de nourrir. Par contre j’ai lu et relu beaucoup d’article scientifique qui prouve les risques de la manipulations de la viande cru. J’ai aussi des amis vétérinaires qui nous disent le nombre augmentant de problème digestif du aux bactéries du cru.

    Il faut bien s’entourer !

    Moi non plus je ne mets surtout pas l’étiquette d’expert. !

    Merci pour ce uuper article je l’ai partagée et j’espère que beaucoup le liront !

    Aimé par 1 personne

  4. Je comprend qu’il y a un risque de manipuler la viande cru pour l’humain. MA question est, est-ce que ça peut se comparer à désosser un poulet sur le comptoir sans prendre de précautions ? Quand je prépare un poulet, je désinfecte le comptoir après. Est-ce que cette façon de faire peut être efficace avec la viande cru pour chien ?

    J’aime

    1. Non, parce que votre chien va manger le poulet cru et peut devenir porteur.

      Excusez la vitesse de rédaction et mes erreurs de frappe, svp!

      Si vous avez eu des enfants, vous savez qu’on ne réussira jamais à leur faire laver les mains avant chaque fois qu’ils les mettent à leur bouche…soyons réalistes.
      Je ne suis pas une maniaque de lutte aux microbes, loin de là.On sait même maintenant qu’il est bénéfique de ne pas vivre dans un environnement aseptisé. Donc vivre avec un chien sain sans toujours laver les mains les mains du bébé chaque 10 minutes, je suis en faveur. Je ne m’en ferais même pas pour un morceau de nourriture tombé par terre.

      Là où ça se complique, et c’est ce que les gens qui n’ont pas assez de connaissances en microbiologie ne comprennent pas, c’est qu’il y a des bactéries et autres qui sont des habitants normaux de nos systèmes digestifs et de notre environnement et d’autres qui sont pathogènes.

      L’animal qui mange du cru peut devenir porteur asymptomatique (sans avoir de signes de maladie) de bactéries pathogènes qui ne sont pas normalement part de la flore intestinale. Il contamine alors son environnement.

      Donc bien plus de précautions si l’animal mange du cru que cuit …presque impossible si la personne est affaiblie et vit à proximité du chien et si c’est un enfant qui rampe, touche à tout et met tout dans sa bouche…

      J’aime

  5. Je sais que nul n’est prophète en son pays… Voici l’énoncé de position conjoint de l’Agence de santé publique du Canada et de l’Association canadienne des médecins vétérinaires. Cet énoncé vient d’être révisé et la nouvelle version sera publiée sous peu.

    J’aime

Laisser un commentaire